Sommes-nous encore capables d’inventer ?
Par Agathe Cagé (@AgatheCage) – COMPASS LABEL
Nous sommes àl’heure où la 5G nous promet une révolution de la chirurgie comme de l’automobilité. À l’heure où l’intelligence artificielle et les traitements inédits des données qu’elle permet ouvrent pour la santé, la protection de l’environnement, la banque…, des voies jusque là non explorées. À celle qui voit les blockchains transformer en profondeur l’ensemble des relations contractuelles, et donc humaines. Nous percevons au quotidien l’impact de ces changements, sans toutefois toujours en saisir les implications à long terme. Mais nous prenons rarement le temps de nous poser une question pourtant fondamentale : emportés dans une course que nous semblons vouloir sans fin aux innovations, sommes-nous encore capables d’inventer ?
Sur la longueur, le film Ad Astra de James Gray, dédié à la quête par un homme d’un sens à sa vie à travers le prisme de l’exploration spatiale, ennuiera sans doute autant de spectateurs qu’il en comblera. Sa première demi-heure vaut cependant le détour pour tous. Car le réalisateur new-yorkais nous y emmène sur une Lune habitée par l’homme. Et, mis à part le gris prédominant dans son atmosphère, tout y est semblable à la Terre. Ou, plus exactement, tout y est semblable au pire de ce que l’homme a fait de la Terre : sur-marchandisation du voyage, atterrissage dans un centre commercial automatisé, marchés captés par des grandes chaînes mondialisées en manque d’identité, travailleur éloigné malgré lui de sa famille, conflits pour la possession des ressources…
Vous pensez que le paysage lunaire de James Gray manque d’audace ? Mais êtes-vous vraiment sûr que, dans quelques années, le retour d’astronautes sur la Lune et l’établissement d’une première base lunaire conduiraient à une réalité différente ? Nous partageons sans doute quelques certitudes : les véhicules lunaires ne se déplaceront pas au pétrole et l’état de santé de ceux qui s’installeront sur le satellite de la Terre sera suivi à distance en temps réel avec la plus grande précision. Saurons-nous, au-delà, inventer de nouvelles références, de nouveaux modèles pour cette planète qui s’offrira à nous ? Avons-nous encore assez d’imagination pour penser un territoire sans frontières et sans revendications de souveraineté ? Pour, plutôt que de chercher à nous emparer de nouvelles ressources, les considérer dès le premier instant comme des biens communs ? Pour proposer un système économique ne reposant pas sur la propriété privée ? Pour mettre de nouvelles valeurs au cœur des relations sociales ? Ou nous contenterons-nous d’une base lunaire ouverte à un tourisme de luxe et obéissant à des objectifs de rentabilité ?
Numériser, ubériser, créer des algorithmes performants, …, c’est faire preuve de créativité. Une créativité d’ailleurs parfois limitée quand les start-uppeurs ne se donnent plus comme ambition que d’appliquer à tel ou tel secteur un modèle qui a fait ses preuves dans un autre, pour les uns celui d’Uber, pour les autres celui de Netflix. La capacité créative est une mesure intéressante du dynamisme d’une économie. Elle dit toutefois peu de l’aptitude d’une société à se transformer en profondeur. La maîtrise des technologies de l’intelligence artificielle nourrit la capacité créative et, lorsque les modèles économiques ont été soigneusement conçus, également la performance. Mais quelle est la dernière innovation que vous avez rencontrée vis-à-vis de laquelle vous avez eu l’impression d’être face à une découverte ? ll y a certes les progrès scientifiques exceptionnels de ceux qui, par exemple, ont réussi à reconstituer l’image d’un trou noir aux confins de l’espace. Cependant, au-delà, nous sommes en mal d’explorateurs, de défricheurs, de briseurs de carcans. Nous ne nous surprenons même plus de n’entendre des « c’est historique » que dans la bouche de commentateurs sportifs. On peut se réjouir de la diffusion de l’esprit entrepreunarial. Mais il ne prendra vraiment sens que lorsqu’il rencontrera l’audace d’inventer.