En mode « ne pas déranger », augmentons notre créativité
Par COMPASS LABEL (@compasslabel)
Il y a quelques mois, Apple a ajouté à l’une de ses mises à jour de l’IOS une nouvelle fonctionnalité, le « temps d’écran ». Il suffit d’aller dans les réglages de son appareil pour y avoir accès. On y trouve une multitude d’informations, de chiffres et d’infographies : temps journalier ou hebdomadaire passé sur son téléphone, progression, moyennes, répartition par type d’application (jeux, réseaux sociaux, lecture, information…) et par application, nombre d’activations, nombre de notifications… Il est même possible de définir des temps d’arrêt, de se fixer des limites d’utilisation en fonction des applications que l’on estime trop chronophages, ou de définir au contraire des autorisations systématiques.
Cette fonctionnalité est révélatrice de la préoccupation croissante des consommateurs concernant leurs usages du téléphone et des technologies digitales de manière générale. L’inquiétude des parents liée au temps d’exposition aux écrans de leurs enfants et aux troubles éventuels (de la concentration, de la sociabilité…) que cette exposition peut provoquer incite d’autant plus les grands acteurs du numérique à proposer des réponses permettant à chacun d’effectuer une sorte d’autosensibilisation pour prévenir ou lutter contre les dérives de l’addiction aux écrans.
Au-delà de la sphère privée, le phénomène s’observe également dans le monde du travail. Bon nombre de managers et de dirigeants d’entreprise tentent de limiter l’usage du téléphone dans leur organisation, considérant que qu’il serait un facteur systématique de perturbation des réunions aussi bien que de dispersion et de déconcentration, et serait donc néfaste à la performance et à la productivité des collaborateurs et donc de l’entreprise.
Certes, il est indéniable que l’abus d’utilisation des outils numériques et des smartphones en particulier peut être nocif passé une certaine limite. Mais n’a-t-on pas tort de diaboliser un outil qui s’est rendu indispensable, y compris au travail ?
Avez-vous déjà remarqué, dans une situation où vous vous êtes retrouvé privé de votre smartphone (une réunion qui s’est éternisée et durant laquelle vous n’aviez plus de batterie, une conférence complexe de début d’après-midi où son usage était interdit…), à quel point il est difficile de rester concentré ou même de lutter contre le sommeil, sans avoir le loisir de jeter, l’espace de quelques secondes, un coup d’œil à ses notifications, à un réseau social ou même tout simplement à l’heure ? De la même manière qu’un bâillement est un réflexe qui permet de réactiver notre vigilance ou au contraire de nous détendre, le smartphone nous maintient réveillé, en alerte, tout autant qu’il détourne un instant notre attention. Les effets neurologiques des notifications de notre téléphone nous stimulent. Notre rythme cardiaque, notre respiration, sont modulés par leur apparition.
Parce que les salariés sont mis toujours davantage sous pression et font l’objet d’une demande de réactivité et de productivité croissante, dans un monde du travail en accélération constante, où prévalent la tyrannie des délais et la course aux chiffres, la fatigue croissante au travail demande des temps de respiration.
Le smartphone permet également, au-delà de la stimulation de nos neurones, une évasion temporaire qui peut réveiller la créativité. Il convient bien entendu de toujours faire preuve d’un minimum de raison, car s’abrutir sur des applications de jeux pendant des heures n’apporte rien d’autre qu’une réponse temporaire à une fatigue ou un stress permettant de focaliser notre attention sur autre chose, d’échapper à nos difficultés, et n’aide en rien à la productivité ou à l’inventivité. Mais consulter les réseaux sociaux, lire un article, regarder une vidéo, écouter un morceau de musique en streaming, constitue pendant quelques minutes une fenêtre d’évasion qui peut stimuler l’imagination et donner des idées nouvelles.
Il est prouvé que les exigences de performance trop élevées nuisent fortement à la créativité. Or, la créativité est ce qui fait notre valeur dans le monde du travail, nous différencie, à compétences égales, de nos collègues, donne du sens à nos actions, à notre rôle. Forcer sa concentration pendant des heures sur un dossier ou un sujet, assis à son poste de travail ou en réunion, accumuler les heures supplémentaires, faire du présentéisme, cocher des multitudes de cases dans des to do listes interminables, remplir des agendas partagés déjà surchargés : où se situent les espaces de créativité dans tout cela ? Les idées nouvelles ne surgissent pas forcément dans ces heures dites productives assommantes, mais au contraire au cours de ces instants où l’on permet à notre cerveau de respirer. Les idées arrivent souvent aux moments les plus inattendus et dans les lieux qui pourraient sembler les moins propices, beaucoup plus facilement qu’en réunion de brainstorming par exemple, où elles ne passent en général pas le crash test de l’opinion des autres, nourrie par un fond de pessimisme, de rationalité couperet ou de concurrence malveillante.
Il n’y a jamais eu autant de créativité, d’idées, de bonnes idées et d’informations qu’aujourd’hui, dont chacun peut s’inspirer, partout dans le monde, et internet et les réseaux sociaux en regorgent à foison. Peu importe finalement que l’image ou le reflet d’un post Facebook ou Instagram que l’on prend quelques secondes ou quelques minutes à consulter, qui nous fait rêver, nous stimule ou nous fait rire, soit authentique ou fabriqué, tant qu’il provoque en nous une réaction, un avis, une inspiration ou simplement nous offre un moment de détente. Encore faut-il que l’on ne soit pas constamment parasité par les notifications d’une boucle Whatsapp, d’un message Slack, d’un mail soit disant « TTU », venant briser le fil de notre réflexion. Au-delà d’une utilisation moindre et plus raisonnée de nos smartphones au travail, peut être faudrait-il s’autoriser, quelques minutes par jour, à activer le mode « ne pas déranger » sans culpabiliser.