Boussole #12 – Millennials : faire les bons paris

Attentes professionnelles et compétences des Millennials : dépasser les idées reçues, faire les bons paris

Par COMPASS LABEL – (@compasslabel)

Comment recruter, intégrer, conserver des Millennials au sein d’une organisation ? Comment favoriser leur motivation, leur développement professionnel et leur épanouissement? La pandémie de Covid-19 et ses conséquences ont renforcé l’acuité de cette question pour les recruteurs et les responsables des ressources humaines. Si elle a ouvert le champ des possibles et en partie modifié les schémas traditionnels notamment en termes d’organisation du travail, elle a également conduit à la réaffirmation de certains fondamentaux. Les principaux enseignements que l’on peut tirer de cette crise montrent qu’il faut avant tout se méfier des idées reçues.

X« Le bureau est un lieu dépassé pour les moins de 35 ans »

En entraînant partout dans le monde une généralisation du télétravail, la pandémie de Covid-19 a permis d’interroger le rapport des différentes générations de salariés à leur lieu de travail. Un sondage Odoxa publié en mars 2021 montre que moins de quatre télétravailleurs sur dix jugent que le travail à distance est moins efficace que le présentiel, mais que 60% des jeunes de 18 à 24 ans vivent mal cette expérience. Autrement dit, les Millennials sont loin d’attendre de leur entreprise du tout numérique. Dans une enquête produite par la société américaine spécialisée en conseil d’entreprise JLL en octobre 2020, 64% d’entre eux ont estimé que leur bureau leur avait manqué. Les attentes de flexibilité associées à la génération des Millennials ne se traduisent pas par le rejet du lieu physique dédié à l’activité professionnelle, au contraire.

La génération des Millennials est bien davantage la génération Coworking, pour reprendre l’analyse d’Elsa Guippe sur la conjonction entre leur arrivée sur le marché du travail et l’avènement des espaces de coworking stylisés, ludiques, spacieux et inspirants, que la génération Home Working. Ce sont les modèles hybrides, et non le 100% télétravail, qui permettent d’offrir aux Millennials à la fois de la souplesse dans leur organisation et des lieux physiques où construire leurs relations professionnelles et amicales. Le bureau reste un lieu central pour ces dernières comme l’a notamment mesurée une enquête sur le bien-être et les phénomènes de burn-out durant la pandémie de Covid-19 dirigée par Jennifer Moss. Il ne joue pas seulement un rôle clé dans la circulation d’information et le management informel. Il est également déterminant pour faire naître de la cohésion d’équipe et un sentiment d’appartenance pour cette génération en quête de sens dans son engagement professionnel. Alors que l’enquête conduite par Jennifer Moss montre que les Millennials ont les niveaux d’épuisement professionnel les plus élevés, liés à leurs plus faibles marges de manœuvre et ancienneté professionnelles, à des facteurs de stress financier et, surtout, à un sentiment de solitude, le bureau participe de leur bien-être professionnel. Il contribue, enfin, à la séparation entre vie privée et vie professionnelle à laquelle les Millennials sont particulièrement attachés (ils sont 88% à juger une frontière entre les deux indispensable).

X« La génération des Millennials privilégie les compétences numériques »

Alors qu’ils font partie des premiers digital native, les 18-34 ans misent moins que les autres générations d’employés sur les compétences numériques. Lorsqu’on les interroge sur les compétences à leurs yeux les plus importantes pour l’avenir du travail, 31% citent en priorité les compétences émotionnelles et sociales, alors que les 35-49 ans et les plus de 50 ans privilégient davantage les compétences numériques, selon un rapport publié en juin 2019 par l’Université technologique de Swinburne (sur la base d’une enquête réalisée en novembre 2018 auprès de 1 031 actifs australiens). Toujours d’après cette étude, plus une entreprise est tournée vers le secteur des nouvelles technologies, plus ses salariés ont tendance à valoriser les aptitudes sociales.

La génération des Millennnials a, autrement dit, davantage conscience que celles qui l’ont précédée à l’entrée sur le marché du travail, de l’importance de la maîtrise des compétences émotionnelles et sociales. Les capacités d’expertise, notamment dans la conduite des transformations numériques, sont certes nécessaires, mais la capacité à s’adapter à tout environnement numérique est quant à elle déterminante, d’autant plus dans une époque d’innovation numérique spectaculaire. Les difficultés rencontrées par des salariés, quelle que soit leur position au sein d’une organisation, pour participer de façon adaptée à des réunions en distanciel, et alors même que certaines compétences attendues pour garantir cette participation peuvent paraître basiques (par exemple en connectique), ne constituent pas seulement de possibles sujets d’anecdotes prêtant à sourire. Elles disent toute l’importance des compétences sociales et tout ce que ces compétences n’ont pas d’évident. Elles disent aussi l’importance non seulement de produire des innovations, mais également de former ses équipes à maîtriser les innovations, des plus basiques aux plus complexes.

X« Les compétences académiques des Millennials et les attentes du monde professionnel se rencontrent mal »

Les étudiantes et étudiants n’acquièrent pas simplement dans l’enseignement supérieur de puissantes capacités d’expertise. Elles et ils renforcent également leurs compétences non académiques. Une enquête conduite par des économistes australiens publiée en 2018 a mesuré le rôle des universités dans l’amélioration des compétences comportementales des étudiants. Sur les cinq compétences comportementales clés identifiées dans l’étude (à savoir la stabilité émotionnelle, l’ouverture à l’expérience, la rigueur, l’extraversion et l’amabilité), les deux dernières sont fortement renforcées par l’expérience universitaire, indépendamment du cursus académique suivi. Par ailleurs, si deux des six critères du classement QS des meilleures universités mondiales (QS World University Rankings) sont relatifs à l’ouverture internationale des universités (pourcentage des enseignants-chercheurs et pourcentage des étudiants étrangers), c’est parce que cette ouverture renforce chez les étudiants deux compétences comportementales essentielles dans la vie professionnelle : une conscience globale et des sensibilités internationales.

Contrairement aux idées reçues, les compétences nécessaires pour réussir à l’université et celles nécessaires pour réussir dans le monde du travail d’aujourd’hui et de demain présentent beaucoup de similitudes. Les universités relèvent chaque jour un défi majeur : apprendre à chaque génération à apprendre, désapprendre, réapprendre, s’adapter face à un futur de plus en plus incertain, être curieux. Faire en sorte, autrement dit, qu’elle soit à même, demain, de transformer le futur du travail et non de se laisser transformer par lui. Or ce défi, c’est celui du monde du travail à l’horizon 2025 : dans son rapport « The Future of Jobs » 2020, le Forum Economique Mondial souligne que parmi les quinze compétences clés identifiées par les employeurs pour 2025, les compétences comportementales tiennent une place majeure (créativité, originalité et initiative, intelligence émotionnelle, résilience, tolérance au stress et flexibilité, …).

X« Choisir le candidat parfait, c’est faire le bon choix »  

Terminons sur une mauvaise nouvelle : le candidat parfait n’existe pas. Il n’existe même doublement pas : ni au moment de son recrutement, ni lors de son parcours dans l’organisation.

S’agissant du moment du recrutement, Anthony Hopkins a livré dans La Faille (film réalisé en 2007 par Gregory Hoblit)une des plus percutantes métaphores cinématographique de cette réalité : vous pouvez trier plusieurs centaines d’œufs, il y aura une imperfection sur la coquille de chacun d’entre eux. C’est par conséquent non pas un aboutissement, mais un potentiel qu’il s’agit d’estimer : la curiosité, l’engagement, la détermination, la motivation, la confiance en soi, l’intelligence émotionnelle. Une expertise technique peut être dépassée ; la curiosité intellectuelle et la capacité d’adaptation non seulement ne le sont jamais, mais elles sont de plus indispensables à l’acquisition de nouvelles expertises. C’est pourquoi Rebecca Knight conseille, particulièrement dans une période d’incertitudes, d’oser faire le pari du candidat imparfait.

Quant au parcours de la nouvelle recrue dans l’organisation, son succès repose sur les mêmes qualités : la capacité de continuer à grandir et à apprendre. Alors que personne n’est à même de prévoir à quoi ressembleront dans quelques années les emplois pour lesquels on recrute aujourd’hui, et que 94% des chefs d’entreprise attendent de leurs employés qu’ils acquièrent de nouvelles compétences (contre 65% en 2018), c’est la capacité d’adaptation au changement qui est désormais centrale. Une compétence que toute organisation doit donc se donner les moyens de valoriser chez tout Millennial qu’elle accueille en son sein.